Llivia adossée à sa colline

LLÍVIA

Blason de Llivia

 

Llívia (prononcer "Libia" en accentuant le 1er "i") est une enclave espagnole en France. Elle est située dans la partie française de la Cerdagne, à l'ouest des Pyrénées-Orientales, entre Saillagouse, Bourg-Madame et Latour-de-Carol, et à 1 km du reste de l'Espagne.
Les voies principales françaises (N.20, N.116, D.618 et train jaune) l'évitent soigneusement et l'entourent. Seule une petite route la traverse, qui la relie à l'Espagne (Puigcerdà) d'un côté, et Estavar ou Saillagouse (Rô) de l'autre.
C'est un gros village, avec de nombreux hôtels, restaurants, commerces, résidences secondaires, caserne de la Guardia Civil, sieste l'après-midi. On est bien en Espagne, il n'y a pas à s'y tromper.

Llívia vue du chemin de Villeneuve

Carte de l'enclave  Mais quelle est l'histoire de cette étrange ville ? Pourquoi est-ce une enclave (observez-la entre Font-Romeu et Puigcerdà) ?

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En fait, Llivia est très ancienne. D'abord un lieu, Cerre (nom basque ayant donné Serra: montagne, et dont le nom de la tribu basco-liguro-celto-ibère qui l'habitait, les Cerretans, a donné le nom à la région Cerdagne), puis une forteresse Julia Lybica du temps des Romains ou "Castrum Liviae" ou Libiae (d'ailleurs Livia n'est-il pas un prénom romain ?), c'était la ville la plus importante de la région. Une voie romaine (secondaire), la via ceretana, traversait la Cerdagne; elle allait de Lérida à Toulouse (par le col de Puymorens) et vers Elne, située sur la côte (ville romanisée (Helena), mais portant aussi à la base un nom basque: Illiberri ou ville neuve) et la via Domitia (par le col de la Perche, par où d'ailleurs serait passé Hannibal et ses éléphants en 218 av.JC lors de sa marche vers Rome pendant la 2ème guerre punique).

Vespasien

Llívia fut ensuite wisigothique, et l'évêque de Clermont-Ferrand, Sidoine Apollinaire, qui a vécu au 5ème siècle, y aurait (?) été temporairement exilé pour raison religieuse: les Wisigoths étaient ariens. Dans ses mémoires, il se plaignait de son isolement. Il avait pour charmantes voisines deux vieilles femmes wisigothiques sales, ivrognes et querelleuses, qui l'empêchaient de dormir le soir après une dure journée de travail (il faisait copiste). Heureusement, son ami Léon, de Narbonne, qui faisait partie de la cour wisigothe à Toulouse et avec qui il correspondait, a pu arranger une entrevue avec Euric qui a finalement autorisé Sidoine à quitter Llivia (mais pas à retourner en Auvergne) - il a dû pour cela lui clamer quelques vers flatteurs...

Llivia a aussi combattu le roi wisigoth Wamba, lors de son expédition punitive (en 672) pour mater son général rebelle Paulus (qu'il avait lui-même envoyer mater une dissidence en Septimanie).

Mais Llivia n'a aucune trace de ce passé romain. Il n'y a que quelques vestiges du moyen-âge: les ruines d'un château, au sommet de la colline. Llivia a aussi été sous la domination des Arabes, même si physiquement ils n'ont pas été très présents, à en croire les recherches. Lors de la première invasion, les Arabes seraient allés du Languedoc à Toulouse (en 721). Lors de la seconde (avec Abder-Rahman, en 731), ils seraient passés par le pays basque pour ravager l'Aquitaine - en évitant Toulouse cette fois. Une "Tour des Maures" est située à Égat, et la vallée de l'Ariège était fortifiée par Eudes.

En 815, Llivia devient la résidence du comte Frédol de Cerdagne, et résiste au 13ème siècle contre les assauts du comte de Foix. Finalement, en 1479, le château de Llivia est dynamité sur ordre du roi Louis XI de France.

Llivia et sa colline historique; remparts visibles en haut

A partir du 13ème siècle, c'est Puigcerdà qui est ensuite devenue la ville la plus importante de la Cerdagne ("Puy cerdan", en catalan). Mais Llivia a quand même été élevée à l'état de ville (vila) par Charles Quint, roi d'Espagne. C'est pour ça qu'elle va devenir une enclave...

Eglise de Llivia

En effet, en 1659, la France annexe le Roussillon aux dépends du Royaume d'Aragon (traité des Pyrénées). Mais le traité prévoit aussi que la moitié de la Cerdagne, située sur le versant espagnol, lui revienne. Cela représentait 33 villages. Or, Llivia n'était pas un village, mais une ville. Après maintes discussions -au milieu de la Bidassoa-, les Français ont dû s'incliner: Llivia resterait espagnole et formerait donc une enclave.

La frontière entre la France et l'Espagne a été matérialisée relativement récemment (vers 1850) par d'énormes bornes en granit, y compris donc le contour de l'enclave de Llivia. On ne peut par exemple pas en dire autant de la frontière entre l'Espagne et l'Andorre (source de procès).
Mais actuellement, depuis 1990, vous ne trouverez plus aucun panneau frontalier lorsque vous traversez (deux fois) la frontière à Llivia: seul le goudron change, et la signalisation routière, sur cette petite route. Les mots "frontière" et "España" sont devenus tabous, suite à la marche forcée vers l'Europe, mais surtout à la réaction anti-nationale post-franquiste de la Catalogne (il règne d'ailleurs une espèce de terrorisme intellectuel à sens unique chez les Catalans à ce sujet...).

A propos de cette route... Elle relie donc l'enclave au reste de l'Espagne. C'est une "route neutre". Elle est nationale dans la partie espagnole (N.154) et départementale dans la partie française (D.68); elle ne dessert que Llivia à partir de Puigcerda. Or, dans la partie française, elle coupe la N.20 (qui va de Bourg-Madame à Ur). Que d'histoires il y a eu à propos du carrefour ! Chaque pays voulait que sa route soit prioritaire: pour la France, la N.20 et son trafic est bien sûr prioritaire sur cette petite route, et a fait mettre des panneaux Stop au carrefour. Pour les Espagnols, ça n'allait pas: un Espagnol ne devait pas être gêné par un Stop sur cette route, fondamentale à leurs yeux, qui relie 2 parties d'Espagne. D'après un texte de Llivia, un touriste espagnol s'étonnait qu'il devait traverser une portion "d'étranger" pour se rendre à Llivia. Finalement, un viaduc a été construit relativement récemment (1983), après maintes péripéties et gué-guerres de panneaux entre DDE et Espagne, épisode nommé "la guerre des stops".
Une autre route, plus petite que la N.20, la D.30, coupe aussi cette route neutre. Avant l'ouverture des frontières vers 1995, le trafic de la route neutre était exclusivement réservé aux Espagnols (car pas de douane intermédiaire). Mais c'est seulement en 2001 que la DDE a daigné indiquer à ce carrefour les directions de PUIGCERDÀ et LLÍVIA (et avé les accents, sisplau !) en même temps que sera aménagé un beau rond-point. Par contre, à ce jour, toujours aucun panneau "Llivia" à l'échangeur N.20 et D.68 (ni à Ur), et nombre de Barcelonais égarés revenant du Pas de la Case s'arrêtent à l'entrée de Bourg-Madame pour demander... "¿ No hay cartel ?"

Allez: encore une autre histoire: la commune de Llivia possède elle-même un terrain en France (une enclave assez importante), qui lui avait été donné en compensation lors de sa création parce qu'elle était une enclave en plaine. Ce terrain, le Pla de Bones Hores, est situé à l'ouest du lac des Bouillouses, et lui sert de pâture à bestiaux, espace de transhumance et de base forestière. Hélas, la commune de Font-Romeu, par la personne de son maire M.Chamayou, a eu l'idée (ou plutôt le "bon heur") de s'approprier un bout du terrain et de construire un hôtel dans les années 1970: l'hôtel Bones Hores, avec terrain pour hélicoptère. D'où de nombreux procès qui ont eu lieu (entre l'Espagne et la France) - d'autant plus que le terrain est au cœur d'une tierce commune... mais cet hôtel reviendra finalement en 2030 à la ville de Llivia (à suivre donc...)

hôtel Bones Hores
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Voici d'ailleurs cette enclave d'enclave telle qu'elle est représentée sur un prospectus distribué à l'office du tourisme de Llivia. Vous pouvez voir qu'elle occupe une zone importante à l'ouest du lac des Bouillouses, bien plus grande que le lac et aussi grande que l'enclave elle-même. A noter que chaque début juin, il y a la fête de la transhumance, qui part du centre de Llivia le matin pour arriver au Pla de Bones Hores pour le pique-nique (ou le déjeuner à l'hôtel).

Llivia avait aussi eu droit (en 1660) à un deuxième terrain, situé dans la forêt, juste à côté du premier mais sur la commune de Bolquère, ceci afin de pouvoir s'approvisionner en bois. Llivia ne perd pas non plus de vue cette zone, même ingrate, située sur la rive droite de la Têt, entre le lac de Pradeille et le Pla des Aveillans. D'ailleurs, c'est écrit "forêt de Llivia" sur le 1/25.000. Llivia et Bolquère étaient en rivalité pour ce terrain, bien avant le traité des Pyrénées, jusqu'au jugement final de 1831 (tribunal de Perpignan). Actuellement, cette étrange forêt est à l'état naturel...

En 1979, la commune de Llivia a sorti une loi comme quoi un Français ne pouvait avoir aucune propriété dans l'enclave, et que s'il en héritait il devait vendre son bien immédiatement à un Espagnol. Mais avec l'ouverture des frontières, cette loi n'a pas duré longtemps, et on comptait en 1999 déjà 35 propriétaires français à Llivia (qui doit faire par ailleurs plus d'un millier d'habitants).

D'un autre côté, il y a infiniment plus de propriétaires espagnols en Cerdagne française (venant de Barcelone chaque week-end) que de propriétaires français (qui pourraient venir de Toulouse ou Perpignan) en Cerdagne espagnole. Mais les Français s'arrêtent dans les stations d'altitude françaises, et ne vont en Espagne que pour excursionner.

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