blason d'Angoulême

Angoulême, par Corlieu

 

La ville d'Angoulême est bâtie en un lieu fort, sur un promontoire que font la queue et coin d'une grande et longue plaine, élevée entre le fleuve de Charente et la rivière d'Anguienne, lesquels s'assemblent en ce lieu. Et est ce coin aucunement séparé du reste de la plaine par un petit vallon du côté de l'orient, à sa cime étendue en plateau, autant qu'il est en besoin pour la circonférence des murailles, et revêtu d'un roc naturel qui se continue par toute son enceinte en un endroit plus rude et en l'autre moins.

Ses rues sont tortes, les maisons sans ordre, et les murailles bâties de diverses sortes de maçonnerie, qui montre qu'elle a été faite à plusieurs fois et souvent prise et ruinée.
Anciennement la ville n'excédait le sommet du coteau, et ne descendait dans le vallon, comme encore on reconnaît par une porte nommée Périgorde, et les murailles de l'ancienne ville depuis le château jusqu'au châtelet, qui sont deux fortes places, que nos ancêtres avaient assises au front du vallon pour défendre ce côté, lequel semblait le plus faible.
Mais depuis, les comtes d'Angoulême ont ajouté à la ville une église fondée de Saint Martial, avec son faubourg, bâti en la pente de ce vallon, et ont le tout renfermé de doubles murailles, et doubles fosses, de manière qu'elle est aussi forte maintenant de cette part que de nulle autre.

L'ancienne ville a sept portes: celle des Réaux que depuis on a nommé le Palet, de l'Arc, Esguière, qui serait pour aller à l'eau par une tranchée en temps de siège, la porte de Beaulieu, de Saint-Pierre, de Saint-Vincent, et Périgorde. La ville neuve, trois: de Nontron, de Saint-Martial, et de Chandos, du nom d'un sénéchal de Guyenne pour le roi d'Angleterre, qui la fit faire. Le Château et Châtelet ont leurs poternes pour sortir aux champs.

Cathédrale St-Pierre

Quand on est du dedans de la ville, il n'y a que trois jours qu'elle était embellie d'une grande et magnifique église cathédrale, une collégiale, huit paroissiales, une église fondée de Saint Jean en Jérusalem, et de deux couvents de Jacobins et Cordeliers, autant beaux qu'il en fût en Guyenne.

Hors la ville, du côté de midi, y avait un long faubourg prenant de la porte Saint-Pierre, jusqu'au fond de la vallée où étaient trois autres paroisses, et une ancienne abbaye de femmes, fondée de Saint Ausone, premier évêque d'Angoulême.
De l'autre part, du côté de septentrion, au pied de la ville, sur le bord de la Charente, était le monastère Saint-Cybard, lequel premièrement ne fut qu'un pauvre ermitage, et depuis par les bienfaits des rois de France, Aribert et le grand Charles, et des comtes d'Angoulême, était cru en une des plus belles abbayes de ce royaumes. Mais tout cela n'est plus, et ne reste de tant d'antiquités que les ruines et monceaux de pierres, pour témoigner à la postérité la rage plus que vandalique de ceux qui les ont faits par les troubles advenus en la Guyenne, l'an 1568.

Je n'oublierai de dire d'Angoulême que le terrier sur lequel elle est bâtie est tellement plein d'eau, que outre un bon nombre de puits qui sont en la ville, elle est encore arrosée par le pied d'un nombre infini de fontaines, comme aussi est presque tout le reste du pays, lequel peut contenir vingt lieues de longueur, à les prendre de l'orient au ponant, et seize de largeur, non partout, mais en quelques endroits, comme les pays adjacents entrent en celui-ci plus ou moins, tellement qu'il est de fort petite étendue, toutefois bon au reste et fertile de tout ce que l'homme peut raisonnablement désirer pour le plaisir et nécessité de la vie. Que s'il se trouve quelques contrées plus maigres que les autres, elles ne laissent pourtant d'apporter fruit à leurs maîtres, les unes de vins excellents, certaines de safran, et les autres de mines de fer. Il n'est ni du tout plat ni grandement montagneux, mais entremêlé presque partout de plaines et collines qui rendent une variété fort délectable, et non moindre profit, d'autant que, outre l'espace de la terre qui double par telles collines, on peut voir les vallées pleines de blés ou de ruisseaux et fontaines, les prés joignant les ruisseaux, les bois et taillis aux pendants des terriers, et les vignobles sur le sommet de ceux-ci. De sorte que presque partout vous rencontrez d'une même vue tout ce qu'ailleurs il se trouve de beau en une bien grande étendue de terre.

Au cœur et milieu du pays, comme principale de la Province est la ville d'Angoulême, siège épiscopal, et de la justice royale, située en lieu âpre et rude, ceinte de rochers, et mal accessible de toutes parts. D'un côté elle a la forêt de la Braconne, renommée en tout ce royaume, qui contient de quatre à cinq lieues de longueur. D'autre côté, deux plaisants buissons ou garennes qui donnent jusque dans les faubourgs de la ville.

A son flanc passe la Charente, fleuve entre les premiers de la Guyenne, lequel prenant son origine sur les finages du pays, l'arrose tant qu'il est long, faisant partout où il passe la contrée merveilleusement fertile, et de bien belles et grandes prairies. Et enfin après s'être assez ébattu par le pays, et fait grand d'un grand nombre d'autres rivières et petits ruisseaux, se dégorge en la mer par Cognac, Saintes et Taillebourg, à quelques trente lieues de sa source.

En cette rivière entre celle de la Touvre, qui naît au pied d'un château ruiné, à une lieue de la ville, et découlant par la plaine d'une largeur admirable, prend fin à une demi-lieue de son commencement. Ce fleuve de Touvre est célébré par nos poètes français pour sa beauté, et un infini nombre de cygnes que les comtes d'Angoulême y avaient d'ancienneté affranchis, députant officiers pour la garde et entretien de ceux-ci, chose qui était grandement belle à voir: mais à présent la race en est perdue par l'injure des guerres. André Thevet, cosmographe du roi, homme de singulier entendement, raconte une histoire mémorable de deux cygnes de la Touvre que je ne répéterai point ici.

On tient au pays que cette rivière se fait d'une autre moindre qu'on nomme le Bandiat, qui passant à une lieue de là le long de la Braconne, se perd en plusieurs endroits, et l'on pense qu'il se rend à la Touvre: chose assez croyable, puisqu'il est reçu pour véritable que la fontaine d'Arétuse s'enterrant à Ælide port de la Grèce, vient par-dessous la mer Tyrrhénienne surgir en l'île de Sicile.

Sources de la Touvre

Toutefois le seul Bandiat ne fait pas la Touvre, qui a six fois autant d'eau que tout le Bandiat. La cause de cette perte est que la terre en la Braconne et ses confins est caverneuse et pleine de vagues en lesquelles l'eau se dérobe, qui est aussi cause qu'en ce quartier-là il n'y a aucun puits ni fontaine, et qu'il se trouve en la Braconne maintes grandes et profondes fosses faites avec la même terre qui s'est là ainsi retirée pour son peu de solidité.
Nos poètes angoumoisins ont fabulé que le Bandiat fut amoureux de la Touvre, et pour en jouir se déroba par conduits souterrains. Je dirai encore ce mot de la Touvre qu'elle est merveilleusement fertile de bons poissons: mais il ne s'y en voit guère d'autres que des truites, de l'anguille et des écrevisses. La cause en est attribuée à l'eau qui est pure de fontaine vive et froide au possible, ce que la truite aime et non tant les autres poissons.

Il y a une contrée en Angoumois d'une terre fort fertile en blé, telle que peut être la Beauce, qu'on appelle Champagne, et si à cette Champagne plus que la Beauce, qu'elle porte grande quantité de vins excellents, qui par la rivière se transportent en d'autres parties du monde: la terre y est forte et produit le cep de la vigne de la hauteur d'un homme, et le raisin d'un espan de long, en telle abondance qu'il s'est vu autrefois tel journeau de vigne qui a rendu à son maître huit et neuf pipes de vin.

Au reste le pays est enrichi d'un bon nombre d'autres belles villes, abbayes, forêts, rivières et étangs. Cognac ville royale, le berceau du grand roi François, père des lettres et de nos rois, après Angoulême tient le premier rang, à la description de laquelle je ne m'arrêterai davantage, d'autant que je veux mettre ici celle qu'en a fait Jacques Babin, poète de la même ville, qui en écrit en cette sorte:

François 1er
François Ier

Les autres villes sont: Châteauneuf, domaine des comtes d'Angoulême, la Rochefoucauld, Blanzac, Verteuil, Marthon, Saint-Claud et Montignac, patrimoine ancien de cette grande et illustre maison de la Rochefoucauld, Ruffec, mère de ce vaillant et renommé gouverneur d'Angoumois, Jarnac, Saint-Aulaye, Aubeterre, Villebois, Montmoreau, Montbron, Confolens et Chabanais, qui toutes sont tenues par grands et puissants seigneurs. Les abbayes et autres choses remarquables au pays, se trouveront chacune en son lieu en la charte que nous avons faite, et au discours de cette histoire.

Mais il n'est rien plus louable en Angoumois que la salubrité de l'air qui est partout merveilleusement bon et tempéré: chose qui subtilise non seulement les esprits, mais encore tempère les humeurs dans les corps humains, d'où provient que les hommes y vivent assez longuement: surtout dans les champs où la sobriété est plus grande.
Et pour parler des mœurs et complexions des habitants, ils sont de leur naturel tendant à simplicité sans fard et ambition: mais assez rudes, mal sociaux et disciplinables, se contentant d'eux-mêmes et de leur fortune. Ils ne sont pas si prompts que les Périgordins, mais plus que les Limousins, Poitevins et Saintongeais. Ceux qui par mélange d'autres nations s'affinent l'esprit, se rendent avec peu de peine des plus habiles.
Le peuple des villes vit pour la plupart de ses moyens, celui des champs s'adonne à l'agriculture, et ne trafiquent guère les uns ni les autres avec leurs voisins non plus que les vieux Gaulois. Les gentilshommes suivent les armes et le plaisir de la chasse.
C'est la dernière des contrées de la France, du côté de la Guyenne, où l'on parle français, ayant les nations plus lointaines chacune son idiome particulier, combien que le vieux langage angoumoisin ne fût par pur français, mais eût retenu beaucoup de termes des langues voisines, principalement du Limousin.
Le site du pays est tel que ce qui lui défaut il le tire aisément de ses voisins, comme le sel, poisson et oiseaux de mer de Saintonge, le bétail, du Périgord et du Limousin, et par la rivière tout ce que le reste du monde communique à la France.

Je finirai ce propos par le recueil de quelques herbes et simples exquis que produit la terre angoumoisine par un aspect bénin du Ciel, et lesquels étant fort rares en d'autres parties de la France, croissent néanmoins ici en très grande abondance, comme sont la loine xanctonique, le capillus veneris, et le ceterach, l'angélique sauvage et hortense, le safran, leucoyon lutea, le ser montain, la myrride, toutes les sortes de valériane, stichas citrina, veronica, la sanicle, le scordium, et plusieurs autres herbes singulières, et de vertu excellente, que nous laissons à décrire aux médecins pour ne mettre la faux en la moisson d'autrui.

François de CORLIEU (année 1576)


Une parenthèse sur l'origine du nom de la ville: Angoulême a été une "cité" créée par les Romains vers le 3ème siècle, et s'est donc détachée de la Cité des Santons (Saintes: Mediolanum Santonum). Le site primitif était dans la plaine de Basseau, "ville d'Olipe", sans doute quelques villae avec un petit port sur la Charente. Pour se protéger, la population est montée sur le Plateau et la ville a peut-être été appelée Incolumissima (= "très sûre" en latin); prononciation inculumisma, d'où les premiers noms de la ville: Iculisma, Ecolisma, Civitas Ecolisnensium... puis Engolesme, Angoulême - à moins qu'Iculisma soit un nom celte.


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