(d'après le site www.memoires-vivantes.org)

 

"Il y a 50 ans Angoulême subissait trois bombardements anglo-américains : le premier le 19 mars sur la Poudrerie : le deuxième le 15 juin sur les gares et les quartiers de l'Houmeau et de la Grand-Font ; le troisième sur la Madeleine.

LE 19 MARS

Quelle surprise vers 23 heures de voir le ciel illuminé par des fusées éclairantes me rappelant celles du bombardement des usines Renault en 1942, accompagné du grondement sourd de beaucoup d'avions : la poudrerie de Basseau était visée...

Le lendemain on sut que le bombardement effectué par des Anglais à très basse altitude, avait visé un seul bâtiment. Il y eut une seule victime, un imprudent revenu chercher son vélo ! Depuis quelques semaines, diverses installations ferroviaires situées plus au nord avaient été la cible de l'aviation.

Nous assistions à la progression des attaques aériennes : Orléans, Tours, Châtellerault, Poitiers où la population civile payait un lourd tribut. Ce sera un jour prochain, le tour des ateliers et de la gare de la SNCF à Saintes, sans compter, plus près de chez nous, la base aérienne de Cognac/Châteaubernard.

Le lundi 12, le Maire en appelait au sang-froid de la population : des tracts annonçant un prochain bombardement avaient été lancés par un avion inconnu.

Toujours le lundi, Madame Cazard tenant une chemiserie à l'emplacement actuel des Chaussures Myrys, 22 rue Marengo, prévint ma mère de l'imminence d'un bombardement. Sa cave contiguë à celles de l'Hôtel de France, siège de la kommandantur, permettait de surprendre les conversations téléphoniques de l'occupant. Nous avons appris par la suite qu'un volontaire Canadien Allyre Sirois, âgé de 19 ans, opérateur radio pour l'Intelligence Service avait alerté les alliés sur la concentration de trains à l'intersection de la radiale Paris-Bordeaux et de la transversale Saintes-Limoges. Par prudence j'annulais une session d'une cinquantaine de moniteurs de colonies de vacances prévue à Chavagnes le jeudi. Chavagnes en effet avait renvoyé ses pensionnaires. Tous mes élèves quittèrent la rue Fénelon le mercredi à l'exception de deux ; l'un avait seulement un train le lendemain matin à 6 h 30 à la gare des "Economiques" (CFEC, le "Petit Mairat"), l'autre la communion solennelle de l'Ecole Saint-Paul, car c'était la Fête Dieu.

Je signale au passage que depuis le début de l'année scolaire les garçons de l'Houmeau allaient le matin en classe rue Turenne, et restaient l'après-midi à la maison pour que ceux de Turenne puissent avoir cours.

Le jeudi 15, après avoir accompagné l'enfant qui partait à Saint-Angeau (à la gare CFEC), je pris avec le communiant la direction de Saint-Paul par la rue d'Epernon. Huit heures sonnaient à la Cathédrale, les sirènes retentirent et peu après je vis à très haute altitude dans un ciel bleu des avions qui venant du nord après avoir tourné à l'Est sur Puymoyen pour être le dos au soleil, lâchèrent leurs engins de mort avec le grondement caractéristique d'un rapide qui traverse à vive allure une gare. Je remis en hâte l'enfant à l'un de mes confrères.

Aussitôt, ayant revêtu sur ma soutane une blouse, brassard de la Croix Rouge au bras, casque sur la tête, avec l'économe de l'Ecole M. l'Abbé Payrazat, je dévalais la rue Marengo, la place de l'Eperon enjambant dans l'avenue Gambetta des amas de pavés, de pierres et de tuiles avec des ferrailles tordues et les fils électriques d'où jaillissaient d'impressionnantes étincelles.

Arrivés au pont des Fainéants nous nous sommes séparés ; l'économe prit la route de Paris et moi je traversais les jardins de Chavagnes, car il y avait déjà des sauveteurs à la gare.

Spectacle de désolation la chapelle avait été atteinte par une bombe au moment où les religieuses sortaient de la messe. Nous nous sommes mis à l'évidence de l'amplitude des dégâts et avons aidé les sauveteurs à retirer blessés et morts des décombres...

Pensant qu'il n'y avait plus de survivants l'Abbé Blanleuil et moi, ayant appris la mort du Docteur Ragnaud qui se rendait sur sa moto à son poste de l'Hôtel de Ville (il fut écrasé par un mur devant Chavagnes), nous remontions place Bouillaud tandis s'un spectacle dantesque s'offrait à nos yeux du haut des remparts avec le quartier de l'Houmeau enseveli sous un voile épais de poussière et de plumes de matelas.

Dans l'après-midi des prisonniers de Saint-Roch conduits par des sentinelles s'affairaient à déplacer une bombe qui venait d'être désamorcée. Nous ne l'avions pas vue le matin et nous avions couru un réel danger.

En rentrant le soir à la maison j'appris par Sœur Saint Ignace, directrice du foyer Sainte-Marthe que le "petit Mairat" n'était pas parti à l'heure prévue et que mon élève avait dû s'abriter à l'entrée du tunnel devant lequel tomba une bombe (il attendait donc le train à la gare CFEC d'Angoulême-Ville). Ses parents inquiets le récupérèrent en début d'après-midi.

Il y eut au total 123 morts, une centaine de blessés, et comble de dérision les circulations de trains entre Paris et Bordeaux ne furent interrompus que pendant six heures.

Le schéma des impacts de bombes est très suggestif. Au lieu de suivre les voies, les aviateurs préfèrent les traverser perpendiculairement, et encore une fois d'Est en Ouest à cause du soleil qui les aveuglait.

L'hommage aux victimes

Restait à rendre un dernier hommage aux victimes. Il eut lieu à la Cathédrale au cours d'obsèques nationales le 17 au matin. Sous la grande coupole étaient alignés 87 cercueils posés à même le pavé. En plus de 4 religieuses de Chavagnes il y en avait 3 du Bon Pasteur. La foule remplissait le chœur, le parvis, les tribunes, la place Saint-Pierre, le rempart de Midi, environ 3 000 personnes.

Monseigneur Mégnin, ses vicaires généraux, le Chapitre, le clergé de la ville entouraient M. le Chanoine Autexier qui célébrait. Monsieur le Préfet Daguerre, Monsieur le Maire Pallas, les Autorités Civiles et celles d'occupation étaient au premier rang.

Entre temps on avait découvert de nouvelles victimes et le mardi 20 juin, 20 cercueils étaient regroupés dans la cathédrale pour une nouvelle cérémonie non moins grandiose dans sa simplicité.

Le 14 AOÛT

Il était 11 heures lorsque les sirènes déchirèrent l'air de leur sinistre appel. Dans un ciel bleu, sans aucun nuage eut lieu le bombardement de la Madeleine où se trouvait le nœud ferroviaire Angoulême/Paris - Angoulême/Limoges. Les opérations furent plus précises : il y eut 15 morts et 23 blessés.

La Cathédrale accueillit encore 11 cercueils et Saint-Martial 4. Le 31 du mois c'était enfin la libération d'Angoulême.

Un monument situé avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny (près de la Grand-Font) a été édifié pour perpétuer la mémoire de toutes ces victimes. Et chaque année, au jour anniversaire du 15 juin, en fin de matinée, il y est fait mémoire de ces moments douloureux, en présence des autorités civiles et militaires."

 

Transmis par M. Jacques Combeau (en 1994).


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